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Sailrocket. Deux hommes reliés par un livre.

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Archives personnelles et re-diffusion codezero. Billet initialement publié le 16 juillet 2014. Ce sujet a fait l’objet d’un sujet dans la presse spécialisée voile il y a quelques années. Ce qui suit est un extrait. C’est un article qui me tient à coeur et qui définit bien ma vision du journalisme et ce qui correspond à la philosophie de codezero dans l’approche contenu. Paul Larsen venait de pulvériser le record du monde à la voile. Il y avait la performance bien sûr, mais un si belle histoire humaine, derrière la performance.

Thierry Seray

Le 28 novembre 2012 Paul Larsen propulsait la voile dans une autre dimension en réalisant avec Sailrocket 2, un run de 500 mètres à plus de 65 nœuds de moyenne. Son engin futuriste, doté d’un foil et d’une aile rigide, est alors le comble de la modernité vélique. Cette réussite cache pourtant un concept publié en 1963 et une magnifique histoire de transmission. Raconter ce genre d’histoire fait partie à mon sens de ce que le journalisme a de plus intéressant. Ce récit m’a marqué, c’est une évidence. Il est porteur de valeurs humaines fortes, il raconte la trajectoire de deux hommes de générations différentes, liés par une même audace, qui se rencontrent par le biais d’un livre et qui au final écrivent une page extraordinaire de la voile.

Tout remonte en effet aux années 50. Bernard Smith travaille alors pour l’US Navy. Il est stationné à China Lake en Californie et son hobby consiste à tester des maquettes de bateaux de vitesse. Smith est un vrai scientifique, en aucun cas un bricoleur inspiré, la physique est son quotidien, et ses petits bateaux sont déjà dotés de foils et d’ailes asymétriques. En 59, il est prêt à faire des essais avec un prao grandeur nature mais il est réaffecté sur la côte Est et ne peut mener à bien son projet. Il poursuivra néanmoins ses travaux. En 1962, il réalise une maquette en bois avec le gréement incliné au vent et le foil en opposition pour compenser les efforts, ceci afin d’aboutir à un bateau stable qui ne gite pas. En 1963, il publie un livre très complet et assez technique qui s’intitule « The 40 knot sailboat ». A l’intérieur on trouve des dessins, des explications détaillées sur la problématique générale de la vitesse sur l’eau, ainsi que des équations. A l’époque, la vitesse à la voile est pourtant un concept assez abstrait. Le premier record officiellement reconnu par le WSSRC ne le sera qu’en 1972. C’est celui de Tim Coleman sur Crossbow et la vitesse – 26,30 nœuds – toute relative. Autant dire qu’en parlant d’aller à 40 nœuds dès 1963, Smith est bien audacieux.

Sur la couverture du livre, on voit un croquis et en ouverture du Chapitre VI, la photo d’une maquette en bois qui ressemble étrangement à la première version de Sailrocket. La voile rigide est inclinée, le foil également et un long bras les sépare. Il n’y a pas à proprement parler de coque et le pilote est à l’arrière d’un cockpit très fin. La voile est sur le corps de l’engin et le foil au bout du bras, ce sera l’inverse sur le premier prototype de Paul Larsen et Malcom Barnsley, c’est la seule différence notable. En fait, c’est bien le concept de Smith qu’a repris le team Sailrocket. Larsen ne s’en est même jamais caché puisqu’une page de son site web est consacrée au scientifique américain. Ce choix est le fruit d’un cheminement, d’une intuition. Et si l’équipe australienne a accompli une gigantesque travail de conception et de mise au point, pour les deux versions de Vestas Sailrocket, tout est parti des idées de cet homme né en 1910 et qui se passionnait pour la vitesse à la voile bien avant tout le monde. Ce n’est pas tout. Quand il a commencé à comprendre, après bien des années difficiles que sa confiance dans le concept initial était tout à fait justifiée, Paul Larsen n’oublie pas le visionnaire et a l’élégance de chercher à le contacter, alors même que compte-tenu des dates, il est probable que celui-ci ait disparu. Quand le téléphone décroche ce jour de 1997, c’est pourtant bien Bernard Smith qui répond. Le chercheur est devenu un vieux monsieur de 97 ans mais Larsen lui explique qu’il a eu raison, que son idée fonctionne. Il correspondra avec lui et lui confiera en 2010, que son bateau ira sans doute a 50 nœuds. Smith décèdera quelques mois plus tard. J’ai interviewé pour Larsen pour le magazine Bateaux, dont vous trouverez l’extrait de la double en bas de ce billet. Paul Larsen m’a parlé de cet aspect très émouvant de l’histoire de Sailrocket dont voici l’extrait le plus révélateur.

Vous avez eu l’élégance de contacter Smith. Comment cela s’est-il passé ?

C’était incroyable. Après que nous ayons franchi les 40 noeuds en 2007, j’ai décidé de contacter la famille Smith pour leur dire que le «vieil homme» avait eu raison pendant toutes ces années. Tout le monde pensait qu’il n’était sans doute plus de ce monde, n’oublions pas qu’il était né en 1910. J’ai trouvé son numéro sur un site web.. puis j’ai appelé. J’ai été assez surpris quand il a répondu au téléphone. C’était incroyable, je parlais à Bernard Smith…. Je lui ai dit que nous avions construit et navigué sur « the 40 knots Sailboat » Il était très attentif et m’a parlé d’une façon très délicate mais je pense qu’il lui a fallu un peu de temps pour digérer ce que je disais. Nous avons commencé une correspondance par lettre et par téléphone. Je lui ai envoyé des dessins de VSR2 et nous avons échangé sur nos différentes idées. C’était très spécial pour nous deux, je pense. Je voulais aller le voir sur son 100e anniversaire, mais malheureusement, il est décédé juste avant. Il a eu une vie extraordinaire, c’était un gars incroyable. Un véritable «fusée » scientifique. J’ai pris l’avion pour la Floride pour me rendre à son enterrement. J’ai rencontré la famille et je leur ai donné le siège de de Sailrocket 1 … le siège des 40 nœuds. Plus tard, après l’enterrement, nous sommes retournés à sa maison et on m’a fait entrer dans son bureau. Il y avait une affiche de notre bateau sur ​​le mur. La famille m’a projeté les films de ses précédents prototypes. L’expérience a été très spéciale, très émouvante. J’aurais aimé le rencontrer en personne … mais j’ai déjà eu beaucoup de chance d’avoir pu parler avec lui. Il était si heureux que nous courions avec ses concepts et si heureux que nous ayons pu prouver leur efficacité. Il a su que nous avions franchi les 50 noeuds. Il savait aussi que notre nouveau bateau visait plus de 60 noeuds. Il était un véritable visionnaire.

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