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Pourquoi il est nécessaire de redéfinir ce qu’est le sport

Archives codezero. Note initialement publiée le 20 mars 2016 (et mise à jour depuis).

En 2016, la France a accueilli l’Euro de football. La présence médiatique de l’événement était énorme et à l’époque, on parle déjà beaucoup (trop) de la candidature de Paris aux J.O de … 2024. Dans une société où l’impact de la télévision demeure considérable, la vision du sport par le grand public continuera de passer par le grand spectacle sportif où le questionnement et autre remise en cause n’est pas à l’ordre du jour. Et pourtant, il y a matière….

La définition du sport nous dit le Larousse est la suivante :

  • activité physique visant à améliorer sa condition physique.
  • Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises.

Revenons brièvement en arrière. Les premiers sports modernes, écrit Alain Ehremberg dans « Le culte de la performance » ont été promus dans les années 1820-1840 pour restaurer l’ordre dans les collèges britanniques…. en inculquant à la future élite dirigeante le sens de l’autonomie et de la discipline. » Il était aussi question de maîtrise de soi, de sa propre puissance. Coubertin, très influencé par la culture anglo-saxonne prend part à l’éclosion et au développement du sport en France dès la fin du XIXe siècle avant d’être le rénovateur des Jeux olympiques de l’ère moderne en 1894 et de fonder le comité international olympique, dont il est le président de 1896 à 1925. Ce faisant, il jette les bases de ce qu’est le sport jusqu’à aujourd’hui.

Le problème, c’est que la vision de Coubertin, si elle est toujours dominante dans les fédérations notamment, ne correspond plus à l’éventail des réalités et des pratiques sportives. Les nouvelles tendances du sport traduisent bien ce besoin qui se diffuse de plus en plus dans la société. La définition traditionnelle du sport n’est alors plus suffisante. Pire, elle empêche un certain nombre de décideurs institutionnels de disposer d’une grille de lecture moderne de ce qui se passe sur le terrain depuis près de quarante ans.

Nous gagnerions à élargir la définition même du sport. Chacun a sa propre façon d’en faire, ses propres motivations, beaucoup de nouvelles « disciplines » sont apparues et si il y a bien « activité physique », le respect des règles n’est pas à la base de tout, en avoir devient même accessoire ou inutile, la compétition n’est pas nécessairement le but ou l’enjeu.

Le sport a commencé à changer à la fin des années 1970. Emergeaient alors d’autres valeurs issues de la contre-culture, des valeurs plus « existentielles » qui renversaient la proposition du sport traditionnel, normatif et chiffré. Ce changement total des références s’est parfaitement illustré au travers des sports de glisse, puis de l’outdoor et même de certaines tendances urbaines, n’oublions pas que le skate est à la source de ce phénomène.

Aujourd’hui, les nouvelles disciplines sportives, ou les nouvelles déclinaisons des anciennes vont bien plus loin que la simple recherche d’une performance ou d’une hiérarchie et ça change tout. En particulier la place de la compétition sous sa forme initiale et le rôle des fédérations la plupart formatées pour une vision de la pratique sportive qui a besoin de se renouveler. Le sport moderne a, à la fois entretenu et tué le stéréotype méritocratique du sport. C’est même à se demander comment la société française à la fois hantée et obsédée par l’égalité des chances a pu à ce point se focaliser sur cet aspect de la pratique sportive. Si l’égalité des chances est une fiction sociale, en sport, elle est devenue une fiction tout court. On peut choisir de le nier, mais tout professionnel de la détection sportive le sait, s’il y a bien un domaine où l’égalité n’existe pas ou peu, c’est bien le sport. La volonté ne peut pas toujours surpasser le capital physique initial, le lieu de naissance ou même l’environnement familial qui souvent parfois un grand jeu. Et ne parlons pas du dopage.

Tout comme Matthew B Crawford démonte brillamment la frontière entre le travail intellectuel et le travail manuel dans son essai « L’éloge du carburateur », il nous semble plus important aujourd’hui de dire aux nouvelles générations notamment que le sport n’est pas ou plus seulement une activité physique, une course contre le chronomètre, le vecteur d’une ambition, l’obsession d’un résultat chiffré même si nous ne nions pas en bloc cet intérêt et les mécanismes de dépassement de soi que la compétition induit. Il nous semble important de dire que le sport n’est plus uniquement ce qu’il était et que c’est une sacrée bonne nouvelle. Le sport est aussi devenu une expérience personnelle, un vecteur d’expression corporelle, une recherche d’esthétique, mais aussi une parenthèse intellectuelle. Il n’y a pas d’un côté un corps mécanique qu’il conviendrait d’actionner, de l’autre un esprit éteint. Et si ressenti il y a, il faut sortir, au moins en partie de ce schéma délétère défaite/victoire. Le sport moderne va bien plus loin que le résultat et les implications de ce constat sont tout simplement considérables. On débat sans cesse de l’impact négatif des notes dans l’éducation, mais on ne remet jamais en cause le poids écrasant de l’aspect sélectif du sport comme unique façon de l’envisager.

Dès lors qu’il n’y a pas forcément de règles à respecter, de stratégie à déployer, de terrain à gagner dans l’adversité et d’objectifs à atteindre, le sportif qui n’en est plus tout à fait un, devient un acteur d’un geste et d’une « recherche ». Il tend vers un autre dessein. Un but qu’il atteint avec son corps, mais qui peut aussi combler son esprit. Dans l’outdoor, la notion d’immersion dans la nature est capitale. Le passionné de pleine nature cherche à « tirer profit » de sa sortie. En termes de sensations, l’outdoor est sport et expérience esthétique à la fois. « Souvent considérés comme une soif de liberté, une recherche de calme ou d’aventure, les sports de pleine nature peuvent être également perçus comme une façon spécifique et toute contemporaine de faire l’expérience de la nature. Ils répondraient au « désir d’éprouver l’espace par tout son corps et de ne pas se contenter d’une attitude spectatoriale » c’est un extrait de Pratiques sportives et mises en paysage (Alpes, Calanques marseillaises) d’Aurélien Niel et Olivier Sirost, dont nous avons déjà parlé ici.

Gosse, on aime souvent courir, c’est un geste naturel, libérateur. Tous les enfants courent. Entre deux maisons, sur une portion de rue, dans la cour de récréation. La plupart ne seront ni sprinter, ni coureur de fond. Quelle image leur renverra le sport  « institutionnel » ? Dans quelle case vous mettait votre prof de gym’…? Dans aucune à vrai dire ? Le système sportif renvoie la plupart des enfants au système de classement. Tout concours tient toujours à ne retenir que ceux qui seront devant ou sur le « podium » faisant de la phrase de Coubertin, une très mauvaise farce.

Le plaisir d’un enfant n’a donc que peu de place dans ce schéma-là, comme dans beaucoup d’autres dans le sport institutionnel. Dommage, car môme, la fascination de la « piste », du tartan, des couloirs, la beauté du geste en athlétisme est réelle, mais si peu prise en compte. Plus tard, des idéalistes ont inventé le jogging. Pour retrouver le plaisir de courir. Chacun se voyant la « liberté » de choisir sa distance et de ne pas subir la norme olympique. Mais le jogging se devait d’avoir une « utilité ». Il fallait courir longtemps, plus vite, progresser, c’est humain dit-on. Non, pas nécessairement. Et souffrir, vieille scorie judéo-chrétienne, on pourrait cependant penser que ça l’est moins.

Nous avions également parlé de Kilian Jornet qui réussit finalement à joindre ce qui pourrait sembler inconciliable. Le record, c’est-à-dire le classement pour lequel il n’existe que le vainqueur, et le plaisir. Il n’est pas le seul, mais ce paradoxe est assez rare pour devenir la norme. Kilian Jornet réinvente le geste de courir. En lui donnant de la perspective, du champ, un arrière-plan, un sens et en lui rendant un même temps son « inutilité », sa beauté. D’où cette notion de liberté qui revient sans arrêt dans sa thématique personnelle… C’est ce que nous écrivions. Jornet a « produit » un exemple qui nous va bien et ce pouvoir-là est très rare.  Alors finalement, les nouveaux sportifs, vrais conquérants de l’inutile au sens noble du terme ?

La liberté, la créativité et le goût du beau geste ont remplacé le culte de la performance, le résultat comme unique horizon du sport et la quête de médailles. La chorégraphie a pris la place de la mesure de la performance physique, la recherche de la sensation a supplanté l’effort, la nature s’est substituée aux pistes des stades, les gymnases où les terrains délimités. Ce constat n’est pas nouveau, il a malgré tout besoin d’être plus largement admis, compris, diffusé. En abordant la place de la perfection du geste, du rythme, du contrôle et enfin du mouvement dans les sports comme le skate, les nouvelles tendances du vélo (BMX et slopestyle), et le FMX et mettant parfaitement en scène des parallèles aussi troublants que significatifs, avec des danseurs (danse classique et breakdance) et un spécialiste de l’art du déplacement, certains acteurs de la nouvelle scène sportive placent ces disciplines dans le champ créatif pour ne pas dire artistique. Ce n’est pas rien. En faisant ces parallèles, ils nous invitent à les considérer de façon totalement différente et leur donne noblesse, profondeur et donc une tout autre identité. C’est ce qu’il faut retenir.

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