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Le sport et nos identités multiples

La relation entre les pratiquants et le sport s’est inversée. Avant, on choisissait, on « embrassait » et on s’adaptait à une « discipline » unique, aujourd’hui, on passe d’une pratique à une autre en fonction d’une « intention » qui peut varier d’un jour à l’autre, voire au cours d’une même journée. Non seulement les pratiquants d’aujourd’hui vont d’un sport « libre » à un sport compétitif et inversement, mais ils peuvent pratiquer un sport libre avec engagement et un sport de compétition avec désinvolture.

Un peu d’histoire

Nous sommes à la fin des années 60, début des années 70. Le sport n’a pas tout à fait la place qu’il occupe aujourd’hui, mais il est déjà structuré. L’État y a veillé : il y a un peu partout des clubs, en arrière-plan, pour le haut niveau, un objectif et une doctrine. Le concept de « Soft Power » n’existe pas encore, mais c’est bien de ça dont il s’agit, le rayonnement international, l’image de la France au travers du sport. Voilà pour la toile de fond. Les enfants ont accès au sport presque partout dans l’Hexagone, souvent grâce à des bénévoles et on peut s’en féliciter. Le sport fait déjà envie, voire même rêver. Les gamins jouent, les plus grands également. À cette époque, on s’implique dans un seul sport : on est footballeur, rugbyman ou judoka. Le sport scolaire vous amène à vous essayer aux 100 mètres ou au saut en hauteur, si votre professeur est branché athlétisme. Certains gamins passent éventuellement d’une pratique à une autre, mais ils sont plutôt rares. La recherche de l’excellence dans une discipline est la voie à suivre. On se consacre à son sport dans une logique d’apprentissage et de perfectionnement. Les gamins rêvent des couleurs de ceintures en sport de combat, ou voient des étoiles en ski et il n’y a pas encore d’argent dans le foot.

Nouveaux imaginaires

Les années 70 voient apparaître des pratiques un peu décalées qui élargissent l’univers du sport. La moto « verte » – on l’appelle comme ça à l’époque – le skate, le bicross, le surf, un peu plus tard la grimpe. On parle de ski « extrême » et le hot dog n’est pas un sandwich. Le jogging, cette autre façon de courir qui sort du stade pour investir la rue, connaît son essor. On brosse à gros traits, c’est une mouvance globale. Tout va s’accélérer dans les années 80, mais une chose subsiste pourtant malgré ce bouleversement majeur : l’identité sportive unique. On ne « zappe » pas ou peu d’un sport à un autre comme aujourd’hui.

Identité sportive

Majoritairement, on reste footballeur, rugbyman, skater, surfer, pilote de motocross, snowboarder, grimpeur. On se projette, on s’identifie, on adhère à un univers et à un ensemble de valeurs plus ou moins visibles. On se construit. Le sport devient identitaire, les sports libres se développent sur une proposition limpide, la recherche de la sensation. Ceux qui s’investissent dans plusieurs pratiques sont de rares pionniers. Cette identité sportive guide encore, même inconsciemment, beaucoup de choix et de comportements. Notamment la recherche de l’excellence, qui tient lieu de « Graal » dans la culture sportive dont nous avons parlé précédemment. Pourquoi ? Parce que la compétition a toujours été l’horizon qui structure le sport et que l’excellence est son corollaire. Elle montre la direction, elle « formate » les ambitions.

Mixage

Tout se mélange vraiment dans les années 90. Des passionnés passent d’un sport à l’autre. Surtout, ces nouvelles pratiques « libres », affranchies des structures – même si elles ne concernent pas géographiquement tout le monde, encore moins toutes les couches sociales – aspirent des pratiquants qui se détournent des sports classiques. Être bon dans sa pratique est encore dans toutes les têtes, d’autant que la culture, aussi hédoniste soit-elle, met en scène une forme d’excellence. Que ce soit en windsurf, en skate ou en grimpe. Des sports connexes comme le motocross sont encore adossés au système compétitif même si leur nature spectaculaire les destine à s’en affranchir partiellement.

Sport et société

Le temps passe, nous en sommes rendus aux années 2000. La France a beaucoup changé en 30 ans, l’Europe également. La consommation a bondi, les congés sont plus nombreux, les trajets en avion se démocratisent et se multiplient. Le sport et le loisir se mélangent allégrement, le kitesurf apparaît, d’autres pratiques trouvent un nouvel essor ou continuent de prendre de l’ampleur : le VTT, le BMX pour ne citer qu’eux. En 30 ans, le paysage sportif a profondément changé, mais surtout, l’offre sportive s’est considérablement démultipliée. Les vingt années qui vont suivre vont être celles du Web, du smartphone et de la GoPro. Or, même si elle ne résume pas à elle seule tout ce qui s’est passé, la mini-caméra est une sorte de ligne de démarcation. L’exubérance d’un côté, l’effort de l’autre, le déclin de la discipline au profit de l’autonomie. Encore aujourd’hui, il y a les pratiques avec, et les pratiques sans. Essayer cette grille de lecture, elle est intéressante et signifiante, même si c’est plus complexe que ça.

Identité sportive multiple

La conclusion n’est pourtant pas là. Entre 1980 et 2020, le sport s’est complètement renouvelé. Il ne se pratique plus de la même manière ni pour les mêmes raisons. Un sportif n’a plus ou très peu qu’une seule identité sportive, mais au moins deux ou trois. Voire plus. Cette notion est fondamentale. On pratique le VTT, le kitesurf et un sport de combat. On est skieur, trailer et grimpeur. Certaines liaisons fonctionnent mieux que d’autres, mais rien n’est figé. On en revient finalement à l’intention. Au travers du kitesurf, on expérimente l’intensité, la glisse, l’océan, le plaisir ; avec le vélo de route, l’effort, une autre forme de liberté, le déplacement, le groupe. En sport collectif, on continue de vivre le groupe et l’action commune. En yoga, on expérimente la communauté tout en recherchant un bien-être corporel et spirituel. Le stand-up paddle peut signifier l’intensité, pour quelqu’un qui le pratiquera dans la vague ou en « race », mais la lenteur pour la majorité. En running, on se confronte à soi-même, mais on court rarement seul.

Enfin, l’âge est une variante majeure dans les motivations. Émotions, sensations, engagement, maîtrise, relaxation, vitesse, lenteur, équilibre personnel, forme, force… on passe aujourd’hui d’un sport à un autre pour l’exercice de soi, pour continuer à se sentir vivant et « en capacité de ». Tout comme on sait qu’une carrière professionnelle n’est plus monolithique, on passe également d’un sport à l’autre au cours d’une vie. Le sport est aujourd’hui une somme de choix, une multitude de segments. Et ça change tout.

Nous sommes passés de l’exigence (comme ligne de conduite imposée par la structure) à l’expérience (recherchée par l’individu). Comme nous l’avions déjà écrit, du déclin de la discipline au profit de l’autonomie.

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