Cette réflexion a été publié en 2018. Si Codezero lance aujourd’hui le concours SPORT IN’PULSE, ce n’est pas un hasard. Parmi toutes les raisons qui ont présidé à la création de Codezero, il y en avait quelques-unes qui se détachaient. Notamment faire avancer des initiatives sur les sujets dont on parle depuis des années. L’éducation, la transmission de valeurs, d’attitude, le bien-être, l’équilibre personnel, la santé, l’environnement, le lien social, l’inclusion. Tous ces aspects profondément humains qui tranchent avec le discours habituel du haut niveau et de la « victoire ».

“C’est dans l’Equipe…. ” pourrait-on s’exclamer au bar du coin. L’Equipe, la référence, le journal qui incarne le sport, le sport de ceux qui le font, de ceux qui ne font que le lire mais qui l’aiment profondément.
C’est un documentaire (vidéo non intégrable ici et ce n’est pas grave, cliquez là pour la voir en plein écran). Sombre, profond et sublime, signé Nicolas de Virieu. On parle d’un homme et de son histoire. Tragique au sens c’est à dire « qui inspire une émotion intense ».
Une région, la Haute Marne, une ville, Saint Dizier, des quartiers, «défavorisés». Une barre, le Verbois puis le 36 et le 36 ter. Le bout du bout, la marge. Le bord de l’abîme. La pauvreté, l’absence d’horizon, la violence, les trafics en tout genre, le quotidien difficile.

C’est impossible, c’est pas pour nous pensent t-ils, alors le dunk va devenir une obsession pour Kadour. Il y voit et y injecte aussi sa façon de voir, sa poésie. Encore une fois dans le monde sportif c’est tellement rare.
Années 90, c’est la culture hip-hop, l’image de la NBA qui débarque en France. La bande a fait du chemin. C’est le début de la Slam Nation. Kadour et son équipe vont vivre leur rêve, faire des shows un peu partout dans le monde. Un jour, ils débarquent même sur le parquet des Bulls de Michaël Jordan.
Le centre du monde. « Tu marches sur des rêves » dit-il à la caméra. Il a de l’humour et du recul. Il trouve que la caméra est trop petite pour pourvoir y mettre l’immensité de ce qu’ils sont en train de vivre. Saint Dizier Chicago, aller/retour pour le prix d’un beau geste. Sans match, sans victoire, mais grâce à la maîtrise d’un geste, d’une forme d’art. Le soir même il fait hurler de joie cette salle qui en a vu d’autres, cette salle qui est celle de Jordan. « On voyait le chemin parcouru » dit le frère. Sa sœur voit Kadour comme Christophe Colomb, celui qui découvre le monde. Elle a raison. Le dunk, ce geste symbolique, leur offre le monde.
Kadour encore une fois y met de la profondeur. Il va au delà du sport…
« Le voyage te permet de te regarder de loin, j’ai vu ma condition de loin »
Nous vous invitons à regarder ce fabuleux documentaire. Pourquoi ce récit ici ? Ce qui nous semble remarquable ce sont les leçons à en en tirer :
- Kadour Ziani nous donne à voir un autre destin sportif, une autre façon de voir le sport, de s’en saisir, une autre manière de le pratiquer.
- A l’heure où la France compte ses médailles, comme à chaque fois, comme une obsession, à l’heure où les journalistes actionnent les mêmes automatismes rédactionnels, la trajectoire de Ziani exemplaire, bouleversante, nous montre qu’il n’y a pas que la compétition dans la vie. La Slam Nation s’est construite sur du partage, non sur de la domination. La Slam Nation véhiculait un idéal.
- Kadour ne pratique pas le basket, il peaufine un geste. Il rapproche le sport de l’art. Le place en tout cas dans le registre de l’expression corporelle. Comme les skaters, les snowboarders, comme ce qui s’est passé en grimpe, en ce moment en slackline ou dans d’autres sports. L’art du geste, le sport c’est aussi ça. Il faut parler du sport aux jeunes génération sous cet angle.
- Kadour parle de poésie, d’esthétique. Son ressenti et sa propre culture sportive le place dans une sphère dans laquelle la réalisation de soi, le plaisir, l’art du mouvement prennent une place de choix. Comment ne pas être inspiré par cet homme et son parcours. Pas d’affrontement, pas de hiérarchie, mais tellement d’implication et de travail.
La fin du documentaire est encore plus surprenante. C’est l’après. Kadour s’implique pour « durer ». Il trouve un équilibre entre son corps et son esprit. S’inspire du yoga, des arts martiaux et des… chats. Il respire une forme de sérénité et de sagesse, si loin de l’image qu’ont pu donner, d’autres sportifs, venus des mêmes horizons que lui. Comment “exploiter” son exemple pour inspirer d’autres, dévaforisés comme lui, comment se servir du sport d’une autre manière ?
Question : quelle vision du sport veut-on transmettre ? Celle de la compétition, de la sélection, des gagnants, des J.O ou celle de Kadour ?
Et si nous arrivions déjà à équilibrer les deux…
Depuis l’après-guerre il n’y a qu’un seul discours sur le sport en France ou presque. Celui des institutions, celui de la TV, principalement orientée vers la compétition pour l’un, le spectacle sportif pour l’autre. Sur le terrain, la pratique du sport en France est majoritairement vue au travers des clubs et du réseau des différentes fédérations. Ce dispositif a beaucoup de qualités (maillage, accès, structures, équipements, encadrements) mais émergent d’autres aspirations, d’autres valeurs .
Les évolutions sociétales ont débouché sur un changement majeur dans le sport à la fin des années 70, le déclin de la discipline au profit de l’autonomie, d’autres évolutions sont en cours. Surtout, il faut aujourd’hui apprendre à tenir un discours élargi sur le sport , notamment aux jeunes générations et ne pas s’en ternir qu’à Paris 2024. C’est urgent.
Nous avons créé l’agence Codezero pour parler du sport de demain, nous avons aussi voulu donner de l’ampleur au débat d’idée et fédérer les volontés, les réflexions et les énergies. Le thème nous tient particulièrement à coeur.