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La vision occidentale de la « plaisance » nous a-t-elle déconnectés de la mer ?

C’est un film dans lequel on parle de pirogues à balancier, une longue et très belle séquence dans laquelle de vieux messieurs se penchent sur de rustiques objets en bois en chuchotant des mots bizarres, un film où il est question de transmission, de navigation aux étoiles, de pêche et de fraternité.

Le choix peut paraître étonnant, la pirogue étant ultra confidentielle en France. Mais elle est significative, révélatrice, c’est notre sentiment. On doit l’avouer, il y a dans les films de pirogues et dans l’esprit de celui-ci quelque chose qui nous fait vibrer, qui entre en résonance avec ce qui nous (et tant d’autres) attire dans les films de surf par exemple, mais aussi de grimpe, de ski et même d’autres pratiques freeride. Il y a un parallèle émotionnel. Les paroles prononcées, les plans, la place de l’eau, comme elle est filmée, les cadrages des paysages aussi vont dans ce sens.

Lorsqu’à un moment, cet homme dit avec conviction « I want to be a water person » après avoir confié ce décalage vécu avant dans certaines conditions, nous avons immédiatement pensé au film « Fish People » visible sur NetFlix. Autre témoignage d’une relation à l’océan moins visible (elle existe néanmoins) dans nos contrées.

Ce n’est absolument pas un jugement de valeur mais à l’autre bout du spectre, cette même semaine, nous regardions aussi (comme tant d’autres…) sur les réseaux sociaux l’extrait du dernier vol du nouvel Imoca tout carbone du bouillant Alex Thomson, et nous nous sommes posés beaucoup de questions. Le débat va bien plus loin que le bois et la tradition d’un côté opposé au carbone et à la modernité de l’autre. C’est une occasion de s’interroger sur notre culture maritime, sur ce dont nous avons hérité, sur nos pratiques actuelles et leur pourquoi.

La pirogue est symbolique du Pacifique, elle est anecdotique en France nous le savons très bien, mais un passionné récemment disparu a fait du sud-ouest un épicentre de la pirogue dans le monde avec la marque Woo. Les peuples premiers ont très tôt utilisé la pirogue, puis les ont transformés en catamarans, troquant la rame contre la voile et étonnant les premiers explorateurs occidentaux par leur vitesse. Il y a un lien entre cette tradition et notre modernité. Cette culture a subsisté, elle continue de véhiculer et de symboliser une relation forte avec l’océan.

Dans nos régions du globe, le monocoque et la culture de la voile ont pris une place considérable, prépondérante. Un certain nombre de conditions, sociétales, culturelles, géographiques et même climatiques, ont présidé à cet état de fait, ce n’est pas le sujet du jour, mais de se pencher sur ce qui en découle. Nous avons à plusieurs reprises évoqué la question de la culture maritime finalement et même ce que l’on nomme la maritimité. La relation à la mer fait partie de nos réflexions de fond, de nos travaux au long cours. Dans les analyses suivantes :

Ce film est une pierre supplémentaire à l’édifice. Faire l’apologie du canoé en bois à l’heure où les teams présentent un à un les nouveaux Imoca hitech qui s’affronteront sur le prochain Vendée Globe a quelque chose de sidérant mais nous assumons. C’est même dans ce contraste saisissant que nous nous appuyons. Et vous avez plus de chance de pratiquer un jour la pirogue ou le surf que le bateau performant à foil.

Le bateau habitable a symbolisé un rêve. Celui de naviguer, mais surtout celui d’être sur l’eau, d’y vivre ne serait-ce qu’un peu. Une industrie et des infrastructures se sont développées, alimentées par le désir ; l’alimentant à son tour. Devenant une sorte de modèle qui on le sait, s’essouffle en partie aujourd’hui tout comme le ski et sans doute pour des raisons profondes comparables. Le développement du surf dans les années 50/60, l’apparition du windsurf dans les années 70/80, le kitesurf (années 2000) puis le stand-up paddle (10 ans plus tard) sont révélateurs d’un changement profond, d’objectifs nouveaux, d’une volonté de pratiques plus légères, directes, mobiles, engageantes qui s’appuient sur une autre vision du monde maritime, d’autres cultures d’autres valeurs. Cet aspect des choses est fondamental.

Ne s’est-il pas dessiné au fil des années, une sorte de ligne de rupture culturelle avec une affaire de compétences d’un côté (la culture voile actuelle dont le segment compétitif fait depuis 2013 un virage impressionnant vers le hitech, la vitesse et le sponsoring assumé) et de partage et de transmission de l’autre ?

Le constat va faire grincer des dents, mais une certaine vision de la plaisance (voile et moteur dans lequel le confort d’une part et la performance de l’autre, ont pris une place considérable) nous a-t-elle déconnectés de la mer ?

C’est ce qui nous vient à l’esprit lorsque l’on regarde ce film dans lequel il y a beaucoup d’humilité et de simplicité. L’aspect spirituel ne doit pas faire sourire, il est ancré très profond dans le Pacifique et participe à la relation avec l’océan que se transmettent ceux qui y vivent. Il nous interpelle car il renvoie l’image d’une relation plus intime, plus respectueuse de l’océan, plus consciente du milieu naturel, avec des engins plus simples, sur une proposition plus émotionnelle que technique. Et qu’on le veuille ou non, ça cadre avec les valeurs qui émergent aujourd’hui. Une plus forte conscience du milieu, une relation au vivant plus important, une interface entre soi et l’océan, plus petite, plus directe, plus intuitive.

Ce que nous voyons dans ces images, c’est peut-être ce qui nous manque ici et que la culture maritime actuelle a rendu très marginal. D’une certaine manière ce que nous avons perdu de vue. Demain, quand il faudra moins « peser » sur le monde, construire une relation plus simple avec lui, arrêter d’imaginer pour chaque loisir des infrastructures impactantes et aller vers la performance pourquoi pas mais en mobilisant le moins de ressources possibles. Les pratiques légères auront une importance capitale alors que pour beaucoup de professionnels de la mer, elles restent anecdotiques, marginales, en tout cas, peu intégrées en tant que culture, mode d’appréhension de l’océan.

Nous sommes persuadés que la voile et la glisse demain ne feront qu’un. Que la glisse n’a pas été un changement technologique, mais culturel. Que les loisirs nautiques d’aujourd’hui pour parler un langage BtoB sont un monde confus qui ne s’adresse pas vraiment à ses adeptes. La pirogue est une parabole mais ce n’est pas uniquement après des médailles qu’il faut courir, sur les triangles olympiques et même la vitesse qu’il faut tout miser, la plupart des gens qui ont envie d’être « waterman », « waterwoman », « fishpeople » ou même qui veulent être juste « bien » dans l’eau, comme ils cherchent à être en phase avec la nature en outdoor ou en simple randonnée, regardent ailleurs.

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