Rechercher
Logo Analyses Vision Codezero

Innovation : jusqu’où peut-on aller trop loin ?

Le développement des vélos tout-terrain a largement bénéficié des progrès technologiques des trente dernières années. Tout a changé : la géométrie des cadres, les roues, les suspensions, les transmissions, les freins. Les pneus n’y ont pas échappé avec aujourd’hui de large gamme de carcasses, de dessins et de gommes. Les matériaux composites, les technologies de fabrication et l’imagination des ingénieurs ont fait de nos simples vélos d’hier, de petites motos sans moteur, c’est ce à quoi l’on pense devant un vélo d’enduro moderne.

L’arrivée de l’assistance électrique achève même cette métamorphose, nous n’aurions pas osé en rêver. L’usage, les performances permises sont évidemment sans commune mesure, personne n’aurait souhaité arrêter le processus qui nous a amenés jusqu’ici et revenir au Specialized Stumpjumper (un modèle assez représentatif…) de 1981 lorsqu’on voit le millésime 2022.

Un vélo d’enduro est aujourd’hui un engin très sophistiqué, que ce soit un premier prix ou un haut de gamme. Pour prendre deux autres exemples de vélo d’enduro, un Giant Reign 29 SX à 4300 euros ou un Santa Cruz Megatower Carbon CC qui va en couter le double. Évidemment, le niveau de sophistication n’est pas le même.

Cela peut paraître étonnant aux non-initiés, mais cette course en avant se focalise aujourd’hui sur la « gestion » des suspensions, un « vrai » sujet en VTT, beaucoup d’acteurs s’y consacrent. Les pratiques plutôt « descendantes » ayant le vent en poupe, le « travail » de la fourche et de l’amortisseur arrière devient crucial. Question d’efficacité sur le terrain. Le problème est peut-être même un peu plus ardu qu’en moto, puisque le pédalage vient complexifier le sujet à résoudre. En effet, la traction de la chaine perturbe le bon fonctionnement du train arrière.

Le « Flight Attendant » de Rockshox, présenté début octobre, est justement une innovation de ce type. C’est un système de suspension assisté électroniquement pour optimiser le pédalage. Nous n’aborderons pas ici les détails de cette solution, ce n’est pas le sujet, nous nous contenterons juste de signaler que cette architecture est différente des précédentes présentations de suspensions « intelligentes », comme l’E.I Shock de Lapierre, ou la Live Valve de Fox.

Au-delà des choix stratégiques faits par les développeurs, et à travers la gestion électronique des suspensions en vélo tout-terrain, nous voudrions aborder la notion de développement technologique dans le sport et poser la question du sens, de la raison d’être et des limites. Cette innovation est un bon exemple pour poser le débat.

Après avoir beaucoup optimisé les débattements, plus particulièrement leur longueur, les constructeurs cherchent aujourd’hui à optimiser la fonction elle-même de l’amorti. Ils cherchent aussi, on ne va pas se voiler la face, à innover pour avoir un avantage concurrentiel, en offrant des performances dont les autres marques ne disposent pas encore. Ainsi va le monde. L’assistance électronique n’a pas jusqu’à présent tenu ses promesses, il se peut qu’elle y parvienne un jour. Le vélo de Loïc Bruni à la dernière étape de la Coupe du Monde aurait bénéficié d’une aide électronique. Le fait est que ces suspensions assistées vont donc s’accompagner d’une complexification des fourches et des amortisseurs sur lesquels vont se greffer des systèmes électroniques nécessitant batteries et composants. L’électronique est déjà dans la place avec les assistances des moteurs des VAE, c’est un argument fort en matière de marketing, la cible masculine étant par nature demandeuse de degré de complexité, d’aspects techniques.

La question qui se pose est la suivante et elle est à relativiser avec le fait qu’un vélo est un bon élève dans le cadre du développement durable :

Jusqu’où le développement technique, la sophistication de nos objets est-elle souhaitable ? À quel moment, pouvons-nous en reconsidérer l’utilité, l’acceptabilité dans un monde où la quantité de biens produits et leur sophistication sont objets de débats. À qui seront vraiment utiles ces nouvelles générations de suspensions ? Le « besoin » est-il impérieux ?

Le sujet dépasse allègrement les suspensions des VTT, le monde du vélo tout court, au-delà le secteur du sport. Il nous invite à repenser notre relation à l’innovation. Le magazine Usbek & Rica sous la plume d’Éric Mahé avait posé une question similaire à propos des écrans 8K. Jusqu’où peut-on aller trop loin pour paraphraser Jean Cocteau ? A quel coût environnemental surtout ?

Ce débat est plus d’ordre philosophique, et tient peut-être, au moins pour l’instant, aux choix que chacun fera individuellement, peu de marques osant renoncer à l’innovation. La difficulté étant de fixer une limite arbitraire ce qui est impossible, qui déciderait d’une telle limite ?

Mais les marques d’objets sportifs seront face à un dilemme dans les années à venir. Elles ne pourront pas toujours se contenter de faire ce qu’elles ont toujours fait en ajoutant juste un onglet RSE sur leur site web.

Même combat pour les utilisateurs.

Sur le même thème

Partagez cette analyse

Twitter
LinkedIn
Facebook
Email

Sur le même thème

Partagez cette analyse

Codezero 2023 ©

Retour en haut