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Comment le vélo devient un sport immobile connecté

Avec le confinement de la moitié de l’humanité, le nombre de tutos en ligne et d’applications de coaching sportif n’ont jamais eu autant le vent en poupe. On transpire désormais à la maison, et de préférence seul…

La « révolution » la plus manifeste reste celle du home trainer pour le vélo, exemple le plus criant, avec une nouvelle discipline qui explose en période de confinement et qui consiste à pédaler depuis son domicile pour faire progresser un avatar cycliste sur un écran, au milieu d’autres partenaires ou concurrents. Selon Julien Habib-Drouot l‘Hermine, directeur e-commerce de Go Sport : « les ventes de home-trainers ont augmenté de 2 000 % depuis début mi-mars. »

Hier réservé à une poignée de professionnels de cyclotouristes aguerris ou de triathlètes de haut niveau, sa pratique a littéralement explosé ces dernières semaines pour atteindre des niveaux stratosphériques : besoin de se dépenser, d’évacuer stress, tensions et anxiété, de réactiver la pompe à adrénaline et de refaire le plein d’endorphines. Certes, il y a un peu de tout cela dans cet engouement surprenant, mais pas seulement…

Alors, que s’est-il passé pour que cet exercice austère, monotone et solitaire, hier réservé à des stakhanovistes de « la petite reine » soit devenu si rapidement le dernier jouet sportif à la mode ? Essayons de comprendre…

Premier paramètre, le manque. Ce printemps, l’ensemble « des grands événements » (réels) du calendrier ont été annulés les uns après les autres, et, parmi eux, tous « les classiques » et « monuments » (ainsi qu’on les appelle dans le milieu) qui marquent traditionnellement le début de la saison cycliste, en Italie et Belgique notamment.

Le samedi 21 mars, date initialement retenue au calendrier, et annulée en raison de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19, plus de 4 000 passionnés (4 421 exactement, la plupart amateurs, selon le journal L’Équipe) ont virtuellement parcouru depuis leur home trainer les 57 derniers kilomètres de Milan-San Remo, la classique transalpine. Emmenés par Vincenzo Nibali (vainqueur de l’édition 2018) qui déclarera après coup : « Milan-San Remo occupe une place particulière dans mon cœur, j’y ai vécu l’une de mes plus belles victoires. Aujourd’hui, j’ai eu l’occasion de faire la course d’une manière nouvelle et amusante. J’ai pu rouler aux côtés de mes fans, même si c’était virtuel. »

« Faites vos courses en ligne », titrait le même quotidien L’Équipe daté du mercredi 1er avril, confirmant que la plateforme spécialisée Zwift, « qui propose des parcours de course aussi ludiques que réalistes, a été prise d’assaut ». L’application pour home trainer, créée en 2014 par Eric Min et Jon Mayfield à Long Beach, en Californie, réunit tout ce qu’il faut en cette période « où la vie se déplace à l’intérieur ». C’est un début d’explication.

Laurent Janneau, directeur marketing et communication de la marque, ajoute : « Ça permet évidemment de maintenir une activité physique, mais en plus de cela, la dimension sociale est hyper importante, surtout quand les gens sont isolés. On peut retrouver ses amis ou plein d’autres personnes (une sortie est lancée environ toutes les 3 minutes sur l’application) pour rouler. Et enfin, il y a une grande capacité de jouer ».

Et cette capacité de marier l’entraînement, la communauté et le divertissement est à la base de la création de Zwift.

Il vous suffira pour vous lancer « d’un ordinateur avec le logiciel, un home trainer connecté et un abonnement (14,99 $ par mois) pour rejoindre des milliers de coureurs en ligne sur des parcours existants, comme les derniers Championnats du monde UCI (Union Cycliste Internationale), ou des « maps » intégralement créées par les ingénieurs de Zwift, telles que « Watopia », le fameux tracé autour d’un volcan en éruption. « Une approche ludique, où chaque kilomètre parcouru permet de gagner de l’expérience pour passer des niveaux (il y en a 50 en tout) et découvrir de nouveaux horizons de routes pixellisées », précise le journaliste Roman Donneux.

Le système très élaboré permet de reconstituer les effets d’une côte, d’un col et même le revêtement des pavés qui apparaissent à l‘écran, en imposant une brusque résistance sur le home trainer. Aussi, de nombreux pros dont Geraint Thomas (Ineos), Mathieu Van der Poel (Alpecin-Fenix), De Gent (Lotto Soudal) et De Vress (Astana), entre autres stars du peloton, mais également Froodemo, champion olympique 2008 de triathlon et Léo Bergère, huitième mondial en 2019, utilisent désormais régulièrement cette application sportive, dynamique, récréative et socialisante d’un genre nouveau.

Des pros donc, et des dizaines de milliers d’anonymes… ou presque, comme le perchiste Renaud Lavillenie qui confie que n’ayant jamais été un fan de longues courses à pied, il a toujours favorisé « la petite reine » pour le cardio et que pour lutter contre l’isolement, sur son home trainer, il se branche donc sur Zwift et part en virée connectée groupée, avec son frère Valentin et quelques potes, dans les rues de Londres [sic] tout en projetant de s’attaquer bientôt aux lacets de l’Alpe d’Huez.

On vous parlait en début d’article de Milan-San Remo, annulé le 21 mars et remplacé par une agréable cyclo-sportive connectée de masse. Mais il y a plus fort : Le Tour des Flandres – considéré par certains comme le véritable Championnat du monde – qui s’est toujours déroulé sans interruption depuis 1919 (et ce même durant la Seconde Guerre mondiale ) a bien eu lieu le dimanche 5 avril : treize coureurs parmi les plus « costauds » du peloton se sont affrontés en ligne, « confinés depuis chez eux, sur leurs rouleaux et sur les 32 derniers kilomètres du parcours, interconnectés à distance via la plateforme Bkool où se mêlaient les images virtuelles des coureurs sur les routes flamandes et des images réelles filmées de leur home trainer. »

Le journal Libération daté du 13 avril nous apprend que « la version en ligne retransmise à la télévision belge a attiré 600 000 spectateurs dans leur salon, soit 56 % de part d’audience ».

L’article précise pour finir – preuve en est que le e-vélo séduit désormais de plus en plus les coureurs professionnels (et pas seulement puisque Zwift, l’application la plus populaire, a grandi ces dernières semaines de 10 000 connectés par jour à plus de 30 000, son record historique) – que « les organisateurs du Tour d’Italie, eux, réfléchissent à imbriquer le cyclisme virtuel et la route traditionnelle, en faisant disputer sur ordinateur le prologue de leur épreuve aux professionnels en lice. »

Vincent Chrétien, journaliste et auteur. A déjà écrit pour Codezero, la fiche de lecture sur le livre « Une histoire populaire du Football »

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