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La GoPro, le symptôme du déclin de la discipline au profit de l’autonomie*

Comme le rappelle Philippe Fabry * dans sa fiche de lecture sur le livre d’Erhenberg, le Culte de la performance et c’est sans doute lui qui porte le regard le plus ajusté à ce qui s’est passé : « Ce culte inaugurait ainsi de nouvelles mythologies permettant à chacun de s’adapter à une transformation majeure : le déclin de la discipline au profit de l’autonomie.

La GoPro, emblème de la caméra embarquée est indéniablement liée aux univers sur lesquels travaille le think tank Code Zero. S’interroger sur les mécanismes derrière ce phénomène nous paraît incontournable, ne serait que pour dépasser le constat lapidaire et très limité prétextant un simple narcissisme galopant.

« Tout se passe comme si chaque individu avait sa propre personnalité pour totem » disait Claude Levi-Strauss en 1960, bien avant la GoPro, même si cette phrase semble presque une prophétie, il faut sans doute aller plus loin.

C’est Nathalie Nadaud-Albertini , chercheuse associée au Centre d’Etude des mouvements sociaux à l’école des Hautes études en Sciences Sociales qui nous permet de mieux comprendre, « Je me vois donc j’existe » : Les jeunes qui mettent leur vie en images, notamment par des vidéos extrêmes, répondent à ce slogan, même sans le savoir. C’est-à-dire qu’ils veulent montrer qu’ils font quelque chose de leur vie, qu’ils sont capables de réussir, de gérer le danger, la peur ou les aléas de la vie et d’en triompher. Autrement dit, qu’ils ont les ressources identitaires nécessaires pour correspondre aux canons de l’individualisme contemporain tel qu’il s’amorce dans les années 60. Car, c’est bien au besoin spécifique de répondre à ces normes que correspond la mise en images de soi. Pour expliquer rapidement cette normativité, on peut dire que jusque dans les années 60, l’individu se devait de suivre le sentier d’un destin collectif balisé de cadres objectifs et stables : des règles, des normes, des hiérarchies, des comportements fixes et automatiques, et des rapports d’autorité et d’obéissance. Dans la seconde moitié du XXème siècle, c’est une autre normativité qui apparaît. En effet, l’individu contemporain se doit d’inventer sa vie en la dotant d’un sens personnel, et ce à partir de ressources et de compétences qui lui sont propres. Enjoint de faire preuve d’initiative, de performance et d’authenticité, l’individu actuel se trouve face à une contrainte intérieure ouvrant son identité à l’indétermination. Dès lors, la question centrale pour lui n’est plus ce qui lui est permis de faire, comme dans la première moitié du XXème siècle, mais ce qui lui est possible de faire. L’individu contemporain doit répondre à une norme identitaire lourde selon laquelle il pourrait tout réaliser à condition de s’en donner les moyens. Mais elle ajoute : Dire que l’on est entré dans l’ère du « on me voit donc je suis » me semble un peu caricatural.

Dans l’ouvrage collectif qu’elles ont coordonné, « Les Tyrannies de la visibilité, Etre visible pour exister ? » (Ed. Erès. 355 p., 25 euros) Nicole Aubert, professeur à ESCP Europe, psychologue et sociologue, et Claudine Haroche, directrice de recherche au CNRS, sociologue et anthropologue, franchissent le pas comme elles l’expliquent dans Le Monde . Elles dénoncent l’injonction croissante à rendre visible à travers les médias, les réseaux sociaux, Internet… ce que nous sommes et ce que nous faisons, sous peine d’être voués à une inexistence psychique et sociale. Au cogito de Descartes, « je pense, donc je suis », semble s’être substitué un nouveau principe : « Je vois, je suis vu, donc je suis », postulent les auteurs.

Mais tout le monde n’a pas la même démarche avec sa GoPro qui est aussi devenue un exceptionnel outil de tournage, de marketing et de partage. A nos yeux, la GoPro a la même légitimité que la simple photographie mais effectivement elle tombe à pic à un moment où la société est en pleine mutation. Elle est aussi un moyen de prolonger un moment, de le partager, de le revivre, de se persuader s’il en était encore besoin qu’on l’a réellement « fait », que ce trip où ce moment rare étaient bien réels. Tout le monde ne met pas systématiquement toutes ses séquences GoPro sur You Tube…

Le rider, le surfer, existe pour un saut, un appui, une courbe, une sensation. Effectivement, dans ce cas précis, l’essentiel est de produire son geste, à son niveau, loin de tout idée de classement, sauf, celui qualitatif, qu’on s’applique à soit même. La GoPro étant là pour pouvoir s’en souvenir sans qu’on passe forcément par le culte de la performance ou le culte de soi-même. Après tout, chacun peut avoir un rapport différent avec lui-même et son miroir…

Comme le rappelle Philippe Fabry * dans sa fiche de lecture sur le livre d’Erhenberg, le Culte de la performance et c’est sans doute lui qui porte le regard le plus ajusté à ce qui s’est passé : « Ce culte inaugurait ainsi de nouvelles mythologies permettant à chacun de s’adapter à une transformation majeure : le déclin de la discipline au profit de l’autonomie.

« Épanouissement personnel et initiative individuelle sont les deux facettes de cette nouvelle règle du jeu social ».  C’est aussi ce que dit Alain Loret quand il parle des vertus de la glisse. Vous pouvez retourner à l’eau, reprendre les chemins des parois, en emportant votre caméra miniature, sans culpabiliser.

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